Le 15 février 2005 était la date d'ouverture officielle de la station Concordia, mais je dois dire que j'y suis maintenant depuis 3
semaines. J'ai emménagé dans ma chambre, celle appropriée au chef de la centrale,
fait mes petites installations, et il me reste maintenant à défaire toutes mes valises et ranger
mon linge car je n'ai pas eu encore le temps de m'en occuper.
En effet, travaillant à la centrale du camp d'été pour l'instant, je dois produire en permanence de l'électricité grâce aux 2 groupes électrogènes et bien sûr de l'eau. En ce moment c'est encore le camp d'été qui fournit l'électricité pour
Concordia. Nous mangeons et nous nous douchons donc à la base d'été, car il n'y a toujours pas d'eau
pour l'instant à la station Concordia, bien que le fondoir fonctionne. L'eau
que nous produisons actuellement est stockée dans 5 caisses de 20
m3 prévues à cet effet. Elle nous servira de secours si besoin est. Le travail au camp d'été est plutôt calme, il y a beaucoup
plus de surveillance qu'autre chose à faire, ce qui prouve que les machines tournent bien, sans souci. A temps perdu, j'aide le mécanicien sur
ses machines, je vide les poubelles du chef cuisinier et je poursuis mon travail à
Concordia. D'ailleurs j'ai fini hier, c'est-à-dire le 18 février, d'installer tous les raccords cames locks ( raccords rapides pour la tuyauterie d'aspiration des caisses ) sur toutes les caisses gasoils destinées à la centrale. Maintenant je dois terminer
l' installation des vidanges de mes 3 groupes électrogènes qui, je dois le signaler est presque
finie.
C'est assez difficile d'être à la fois au camp d'été et à la station Concordia, car étant responsable de la centrale électrique qui fonctionne, je dois être présent à tout moment au cas où, si une alarme venait à se déclencher, pouvoir
résoudre le problème au plus vite, surtout au niveau de l'eau pour les bâtiments, ayant seulement 8 à 10 minutes
pour agir avant que les tuyaux extérieurs ne gèlent.
En ce moment, la température ne cesse de chuter, et chaque jour elle perd de 2 à
3°C. Le soleil descend sous l'horizon, et dès qu'il n'y a plus de soleil, la température chute aussitôt en dessous des -
50°C. Le grand froid commence à venir et toute l'équipe s'agite pour terminer
tout ce qui est vital avant que la nuit ne vienne nous rencontrer et que les températures n'atteignent les -60°C ou plus. Donc cette semaine nous avons
rentré dans la station Concordia tous les vivres ( le +4, les boissons etc... ) le médecin et le glaciologue se sont occupés de monter la salle de sport et depuis hier soir, elle est opérationnelle. Avec mon ami Karim, nous allons nous faire un petit programme d'entretien musculaire, car les repas riches et succulents de Jean-Louis, le chef cuisinier, toujours très copieux, nous ouvrent l'appétit
et nous ne pouvons pas y résister.
Enfin voilà nous sommes le 19 février 2005, il fait beau avec un peu de vent, la température de ce matin était de -43°C, après la pause de
10 h je vais travailler sur la chargeuse avec le mécano, pour
effectuer une révision complète de la machine, isoler tous les vérins avant que le grand froid nous
frappe et nous prenne au dépourvu.
Pour l'instant le temps passe très vite, je suis toujours occupé à faire quelque chose, soit dedans, soit dehors, nous sommes 13 depuis le 10 février et le camp semble être vide.
Nous sommes le 16 avril 2005, et cela fait maintenant presque 4 mois que je suis en Antarctique, à
3200 m d'altitude. Lors de mon arrivée à Dôme C, au mois de janvier, il faisait en moyenne -25°C,
maintenant la température moyenne est de -70°C. Il fait beaucoup plus froid et
mon corps, lorsque je sors, le ressent douloureusement.. Cette différence est énorme, surtout que nous
n'avons aucun sas de progression. Dès la sortie, nous passons directement de 18°C de la station à -70°C, voire
plus. C'est un sacré choc thermique au niveau des narines, de la gorge et des poumons. Avant, je ne mettais jamais de cagoule sur la tête, mais maintenant c'est
absolument indispensable. Lorsque je travaille avec mon ami Karim pour l'aider à démonter ou remonter ses appareils télescopiques, j'ai beaucoup de
difficulté à rester plus de 20 minutes à tenir les appareils fabriqués en alliages de métaux.
Ils me glacent les mains, jusqu'à me les geler et à ne plus les ressentir. Dès que je rentre dans
son chelter et que mes doigts reviennent à eux, c'est si douloureux que je ne peux rester en place. C'est maintenant que je me rends compte que la vie dehors est
totalement impossible, même passer une demi-journée à l'extérieur relève du
défi.
Au début, lorsque je suis arrivé, je me disais que l'hivernage allait être très difficile à vivre et qu'il y aurait
du travail pour 13 personnes à ne jamais en finir. Aujourd'hui, je me rends à l'évidence
: finalement nous vivons tous très bien, les travaux avancent doucement mais sûrement, et
le programme se déroule tout à fait normalement.
Hier le tuyauteur a fini le réseau de transfert de gazoil d'une cuve à une autre, avec la possibilité de pomper à l'aide d'une pompe intérieure qui se trouve
dans la centrale. Il ne faudra sortir que pour connecter la cuve que je voudrais transférer. C'est une très bonne chose car avant je devais
faire la manoeuvre dehors à l'aide d'une moto-pompe qui ne voulais aspirer que lorsque qu'elle
l'avait décidée. Il fallait 4 personnes pour la monter sur la cuve et ce n'était vraiment pas
pratique. Cependant, nous gardons quand même le système, en cas de besoin.
Les jours passent très vite. La période ensoleillée diminue franchement. Le soleil devient
vraiment fainéant car il se lève de plus en plus tard et se couche de plus en plus tôt.
Je pense que d'ici le mois de mai nous serons dans le noir du matin au soir.
Tous les jours du lundi au vendredi, avec le chef cuisinier, nous faisons notre programme de musculation afin de nous
entretenir. L'exercice nous permet surtout de penser à autre chose qu'au travail, nous rigolons, et cela nous fait beaucoup de bien. Le samedi et
le dimanche c'est repos, car il le faut bien pour nos muscles qui travaillent toute la semaine pendant 1heure, de 17h30 à 18h30.
Le samedi après -midi, c'est le moment du nettoyage un peu partout dans la base, certains
s'occupent des couloirs, du sol, des cloisons, d'autres, des étages, de la centrale et
des locaux techniques. Ce jour-là nous arrêtons tous à 16h30 au lieu de 17h30.
Tous les jours, sauf le dimanche, je me réveille à 6h00, 6h15, je monte au restaurant rejoindre le chef cuisinier et je l'aide à préparer et mettre en place le petit déjeuner.
Vers 7h00, 7h15, je descends et commence à travailler. Je m'avance dans mes
tâches, je fais mes rondes habituelles pour surveiller la bonne marche des groupes électrogènes, des diverses pompes
(eau douce et recyclée), des compresseurs évac etc.... je termine mes journées à 17h30.
Tous les jours, matin et soir, je regarde les emails de mon épouse et de mes 2
enfants pour connaître les dernières nouvelles de la maison qui se trouve si
loin. Il y a exactement 12h de décalage horaire, lorsque je me couche, ils se lèvent,
leur vie est complètement décalée par rapport à la mienne.