Mai 2005

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1er mai 2005 : Fête du travail ! Ici, les 35 heures et les RTT sont des termes qui ont disparu de notre vocabulaire. L'équipe technique fonctionne selon un rythme précis : de 8 h à 12 h et de 13h30 à 17 h. Le dimanche, c'est relâche et les jours fériés, comme Pâques, ne sont souvent que des demi-journées fériées. Pour les scientifiques, c'est un peu différent, pas de contrainte horaire mais un programme à réaliser coûte que coûte. Pour moi, la journée commence vers 10 h du matin et se termine vers minuit (souvent elle peut se poursuivre jusqu'à 2 h du matin) avec les interruptions nécessaires pour les repas bien évidemment. Entre les manips, les rapports et les mails les occupations ne nous font pas défaut. Pour Jean-Louis aussi, le planning est différent et il y a une tradition en Antarctique :  pour le 1er mai le cuisinier est de repos. Nous devons donc, ce jour-là, nous contenter de rations militaires. Il y en a pour tous les goûts ! Une table bien dressée par Stéphane qui était de service aujourd'hui, de magnifiques boîtes en carton dans lesquelles nous découvrons, émerveillés comme des enfants devant un cadeau-surprise, un réchaud, du pain, du sucre, de la pâte d'amande, des barres, du fromage et un plat de résistance !  Ce n'est pas vraiment appétissant. J'ai ouvert ma boîte, regardé dans tous les coins, repéré du navarin. J'ai goûté et demandé à Jean-Louis s'il fallait en garder pour le soir. Il m'a répondu que ce soir la cuisine se remettait au travail. Soulagé, j'ai soigneusement tout refermé et décidé d'attendre. Voilà le problème quand on s'habitue aux bons plats de Jean-Louis, difficile d'y renoncer ! A mon retour, ma femme risque de ne pas apprécier.

 

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3 mai 2005 : La journée va durer une heure avec un lever de soleil à 10 h et un coucher à 11 h. Je me suis mis à la fenêtre pour suivre sa course en enregistrant à l'aide de mon appareil photo une image toutes les minutes. Il fera sa dernière apparition demain. Il va certainement beaucoup nous manquer.

 
Les dernières images du soleil

 

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4 mai 2005 : Journée très chargée. Depuis plusieurs jours, je m'active à la préparation d'une visioconférence entre le ministre délégué à la recherche, François d'Aubert, et les hivernants de Concordia, en association avec mes correspondants à l'IPEV et au ministère. Une pièce a été spécialement aménagée pour cet évènement, la salle de radio étant trop petite pour nous accueillir tous. Après un grand nettoyage, nous avons bricolé une estrade à l'aide de palettes recouvertes de moquette et disposé, avec soin, trois rangées de chaises afin que chacun de nous soit bien visible. Pour le décor :  les drapeaux européen, italien et français, et un grand panneau où sont imprimés le nom de la base et les coordonnées géographiques du lieu.

Un grand nombre de personnalités étaient présentes à la conférence : Gérard Jugie, le directeur de l'IPEV, différents responsables dans le domaine technique (Patrice Godon, Serge Drapeau...), des scientifiques de différentes disciplines (glaciologie, astronomie, secteur spatial...). Mais le plus beau cadeau pour nous a été la présence de nos familles. Femmes, enfants, mères, pères, frères, soeurs, amis, tous installés dans les premiers rangs de l'amphithéâtre Poincaré du ministère de la recherche à Paris. A Concordia, les exclamations fusaient : c'est mon fils ! c'est ma fille ! là, là; à droite, c'est ma femme !  

Après un discours du ministre, Gérard Jugie a présenté la station, puis ce fut le chassé-croisé des questions posées par les spécialistes suivis des journalistes, questions sur notre vie quotidienne, sur la base, sur nos programmes scientifiques...  Ce genre de manifestation a pour effet de souder un peu plus le groupe, de le rassurer et de le galvaniser grâce aux encouragements prodigués. Enfin, un nouveau privilège nous a été offert : à Paris le public fut invité à quitter la salle afin de nous laisser dans l'intimité, avec nos proches. Voir l'émotion dans les yeux de Michel Galland qui était persuadé que sa femme et ses deux enfants ne pourraient pas venir et qui n'arrivait pas à y croire ! Nous avons passé plus d'une demi-heure en tête à tête, à échanger, à tour de rôle, quelques paroles que nous allons conserver comme autant de magnifiques présents. La décision de mettre fin à la liaison satellite a été très dure à prendre mais il n'y avait pas d'alternative.  Je suis certain que dans les jours à venir la visioconférence sera le centre de toutes les conversations au Dôme C et que ce contact a fait significativement grimper le moral du groupe.

 

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5 mai 2005 : Exercice surprise ! L'alarme a sonné, le message est passé : le feu s'est déclaré dans une chambre du bâtiment calme. En six minutes, nous étions tous sur place. La simulation portant sur le déploiement de l'eau, il fut décrété que l'utilisation des extincteurs était insuffisante. 

L'opération s'est bien déroulée mais nous avons perdu du temps à cause d'un branchement inadéquat de la moto-pompe. Après inversion des tuyaux, tout est rentré dans l'ordre. 

 

 

Le but de cet exercice étant, entre autres, de vérifier le débit de l'eau, un test fut pratiqué. Au sortir de la lance, le jet projeté par la fenêtre se transforma immédiatement en flocons de neige. Il ne faut pas oublier qu'à l'extérieur le température était de -70°C

 

 

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16 mai 2005 : Pour protéger ma caméra du froid à chacune de mes sorties, j'ai décidé de fabriquer une boîte chauffée qui pourrait l'abriter. Quelques heures de bricolage dans l'atelier de la base et me voilà sur le toit entrain d'installer mon appareil et de débuter les premiers tests. C'est alors que je remarque des traînées blanches dans le ciel. J'ai pensé tiens ! des nuages ! Peu à peu mes yeux se sont accoutumés à l'obscurité et j'ai réalisé alors que j'étais l'unique spectateur d'un véritable ballet d'aurores. La base était endormie et je n'ai pas osé réveiller les autres. J'étais subjugué par ce que je voyais. Le Dôme C n'est pas réputé pour ses aurores qui y sont plutôt rares et peu lumineuses. Personnellement, depuis le début de l'hivernage j'ai pu en contempler quatre mais jamais aussi intenses et colorées que celle-ci. Il s'agissait de phénomènes de faible intensité, localisés sur l'horizon. Là, le fabuleux spectacle se jouait sur 360°. Impossible pour moi de laisser passer une occasion aussi exceptionnelle. Je décidais donc de sortir pour prendre des photos à l'extérieur. J'ai contacté par radio Michel Munoz qui dormait et je l'ai informé de mon intention de sortir sans franchir le périmètre de sécurité. Dehors, j'ai pu encore mieux apprécier la beauté du tableau. Pendant une demi-heure, je me suis gelé les doigts sur mon appareil photo jusqu'à ce que les piles rendent l'âme. De retour à la base, j'ai croisé Roberto. Je lui ai raconté ce que je venais d'admirer. Sans hésiter, il a revêtu sa tenue polaire, m'a remis sa caméra que j'ai installée dans l'abri chauffé et nous sommes ressortis à toute vitesse. Roberto répétait sans cesse : "C'est fabuleux ! C'est un super cadeau que tu m'as fait Karim". Et comme précédemment, c'est la fin des piles qui nous a contraint à abandonner la féerie du ciel.

                                       

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17 mai 2005 :  Les diverses formations en cours se poursuivent. 

Claire et Michel nous fournissent toutes les informations nécessaires sur les risques d'incendie et l'utilisation des extincteurs.

 

 

La confiance que Roberto place dans l'équipe médicale qu'il forme jour après jour, va grandissante. Aide-chirurgiens, anesthésistes, instrumentistes, nous rentrons à tour de rôle un peu plus en détail dans l'étude du déroulement d'une intervention médicale.

 

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18 mai 2005 : Au programme aujourd'hui une visioconférence avec une classe de 3ème A du collège "les Garrigues" de Montpellier.

 Ils s'appellent Pauline, Marianne, Corentin, Florent, Khadija, Marie-Louise, Marielle, Sofian, Mehdi, Aurélien, Bastien, Guillaume, Mickaël, Salah-eddine, Maorie, Mélissa, Steeven, Morgane et les autres...  

Au total, un groupe de vingt-trois élève qui a passé une semaine à la délégation du CNRS (DR13) de Montpellier où était organisée une manifestation autour des recherches effectuées en Antarctique. Cette classe scientifique était motivée et montrait un intérêt réel pour nos activités à Concordia. En direct de notre salle de visioconférence, les membres de la mission ont fait appel à leur sens de la pédagogie pour répondre à toute une panoplie de questions posées par les adolescents sur les recherches menées à Dôme C, notre mode de vie, le climat, nos armes contre le froid, le courage dont il faut faire preuve, les maladies, les animaux... En souvenir de cette rencontre, la classe nous a fait parvenir la photo du groupe que nous avons affichée avec quelques mails sympathiques adressés par certains élèves.

 

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19 mai 2005 : Le beau temps persiste malgré l'absence de soleil. Les nuages sont, pour ainsi dire, inexistants. Nous sommes maintenant bien installés dans notre nouvelle vie. 

                                           

Les sorties sont réduites au strict minimum, par contre, pour chacune d'entre elles 
nous nous équipons au maximum. 

Roberto poursuit scrupuleusement le programme MISTACOBA. Installé devant son hôpital, 
il procède au conditionnement des échantillons récoltés dans la base 
pour une analyse ultérieure par l'ESA. 

Depuis deux jours, j'ai placé sur un des télescopes implantés au pied de la plate-forme, le dispositif qui permet de mesurer l'angle d'isoplanétisme et le taux de scintillation. 

                                              

Intervenir sur des instruments en pleine nuit nécessite un éclairage du lieu. En prévision j'avais disposé un projecteur sur mon observatoire et un autre à sa base. Chaque fois que l'équipe technique doit travailler sur les installations extérieurs, la base est éclairée.

 

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20 mai 2005 : Une équipe de France 3 Côte d'Azur qui souhaitait réaliser un mini reportage sur les astronomes niçois et leur programme au fin fond de l'Antarctique a contacté le Laboratoire Universitaire d'Astrophysique de Nice (LUAN). Sur place, Eric Fossat et Eric Aristidi ont été interviewés pour expliquer le contexte de cette mission, puis, grâce à la visioconférence, j'ai été joint à mon tour. La liaison était parfaite et j'ai pu donner mes impressions sur la vie à Concordia, expliquer les objectifs de mon programme de recherche et les enjeux. Cette rencontre, côté niçois, s'est déroulée dans les locaux de la délégation du CNRS (DR20) de la Côte d'Azur.

 

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25 mai 2005 : Dans les jours à venir mon planning de travail est bien rempli par les préparatifs d’une nouvelle expérience. Je dois réaliser des clichés de la lune destinés à une étude de la lumière cendrée. A première vue, cette opération paraît simple mais comme elle n’avait pas été prévue dans mon programme initial, je vais devoir me débrouiller avec les moyens du bord. J’ai repéré dans les listes de matériel que j’ai transporté jusqu’au Dôme C un petit télescope C5 que je prévois de combiner avec ma caméra D70. C’est un bon compromis pour ce type d’observation : l’image de la lune couvre une grande partie du capteur et il reste un peu de champ pour des images d’étoiles utiles à la calibration. J’ai assemblé le tout dans mon laboratoire et j’ai dû faire le nécessaire pour adapter la molette de focalisation du télescope au froid. Ensuite, j’ai monté cet instrument sur le rail placé sur un des télescopes au bas de la plate-forme ce qui me permet d’utiliser la monture pour le suivi. Une série de tests m’a permis de constater et de résoudre les problèmes posés par cette nouvelle configuration et de rechercher toutes les solutions pour passer le minimum de temps à l’extérieur. J’ai consacré l’ordinateur qui me sert habituellement à la web cam, au contrôle et à l’acquisition des images, à distance de l’igloo. Le problème majeur résulte de l’usure très rapide des piles. Ce genre d’observation constitue habituellement un régal pour les amateurs mais, dans les circonstances présentes, cela devient un exercice délicat. Travailler sur la netteté des images par – 70°C nécessite de fréquents aller-retour entre le télescope et l’igloo et regarder dans l’oculaire à cette température expose au risque d’y rester collé. 

Voici le tout premier essai de photo de la lune. Certes, elle n’a rien d’extraordinaire
 les plus expérimentés trouveront même que la mise au point n’est pas parfaite 
mais c’est la première photo de ce genre prise depuis le Dôme C.

 

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30 Mai 2005 : En astronomie, le temps est le seul maître. On a beau être fin prêt, si une simple petite brume s’installe, l’observation est annulée. C’est malheureusement ce qui s’est passé aujourd’hui qui était un jour "clé" pour mener à bien cette étude sur la lumière cendrée de la lune. Le résultat a été décevant. Une dérogation m’avait pourtant été accordée par le chef de la base pour pouvoir sortir seul car une série de photos à réaliser toutes les deux heures était prévue. De plus, comme la lune se lève tard dans la soirée, il n’était pas évident de trouver quelqu’un pour m’accompagner lors de chaque séance de pose. La consigne a été clairement définie : je devais appeler Michel chaque fois que je quittais l’igloo que ce soit pour aller régler le télescope ou pour revenir à la base. Lui non plus n’a pas bénéficié d’un sommeil réparateur cette nuit-là avec cette drôle de mélopée qui le réveillait régulièrement : « Karim pour Michel » « Oui » « Je sors » « D’accord Karim ». Deux minutes plus tard : «Karim pour Michel » « Oui » « Je rentre » « D’accord Karim ». Cependant, le résultat n’a pas été à la hauteur de l’effort. J’ai attendu longtemps dans l’espoir que ce léger brouillard allait enfin se dissiper mais en vain. Depuis l’arrivée de la nuit permanente c’était la première fois que le temps se dégradait ainsi. Il faudra donc attendre une autre moment propice. Quel bon apprentissage de la sagesse et de la patience !

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